Bien plus grave

10 Feb 2007

I found this poem, by Uruguayan writer Mario Benedetti, on another tantric blog in Spanish, I translated it into French which better preserves the rhythm than English – there may be a few mistakes but hopefully not too many 🙂

The message that love rewrites our personal history, restores it to us, and that the infinite is to be found in the particular, is very deep, true and beautiful.

Enjoy!

Toutes les parcelles de ma vie ont quelque chose de toi.
Et, Ă  dire la vĂ©ritĂ©, cela n’a rien d’Ă©tonnant
Tu le sais autant que moi.
Pourtant, je voudrais t’expliquer une chose.
Quand je parle de toutes les parcelles,
Je ne fais pas référence uniquement à ce moment,
Au fait de t’attendre et enfin de te revoir,
De te perdre désespérément,
Et de te revoir encore,
Et voilĂ  tout.
Je ne fais pas rĂ©fĂ©rence Ă  ce que tu dis, “je vais pleurer”,
Et c’est moi, un noeud discret Ă  l’arrière-gorge, qui pleure
Et une belle averse invisible s’empare de nous
Et peut-ĂŞtre c’est pour cela que le soleil se lève de suite.
Je ne fais pas seulement référence à comment, jour après jour,
s’augmente le stock de nos petites et dĂ©cisives complicitĂ©s,
Ou que je puisse me convaincre de pouvoir convertir mes défaites en victoires,
Ou que tu me fasses le cadeau sournois de ton désespoir le plus récent.
Non.
La chose est bien plus grave.
Quand je dis toutes les parcelles
Je veux dire que, au-delĂ  de ce doux cataclysme,
Tu es en train aussi de réécrire mon enfance,
Cet âge oĂą l’on dit des choses solennelles et adultes,
Et les solennels adultes les célèbrent,
Et tu, par contre, sais que cela ne sert Ă  rien.
Je veux dire que tu es en train de refortifier mon adolescence
Ce temps oĂą j’Ă©tais un vieillard comblĂ© d’angoisses,
Et tu sais pourtant retirer de ce désert
Ma graine d’allegresse et l’arroser en la regardant
Je veux dire que tu es en train de secouer ma jeunesse,
Cette cruche que personne n’a jamais prise dans ses mains,
Cette silhouette que personne n’a fait sortir de son ombre,
Et toi, par contre, tu le fais trembler,
Jusqu’Ă  ce que les feuilles sèches commencent Ă  en tomber,
Et il en reste l’ossature de ma vĂ©ritĂ© dĂ©nuĂ©e.
Je veux dire que tu es en train d’embrasser ma maturitĂ©
Cette mĂ©lange d’Ă©tonnement et d’expĂ©rience
Cette Ă©trange frontière entre l’angoisse et la neige
Cette bougie qui illumine la mort
La précipice de cette pauvre vie.
Comme tu le vois, c’est plus grave,
Bien plus grave,
Parce qu’avec ces mots, ou avec d’autres,
Je veux dire que tu n’es pas seulement
La bien-aimée demoiselle que tu es
Mais tu es aussi toutes les splendides ou hésitantes femmes
Que j’ai aimĂ©es ou que j’aime.
Parce que c’est grâce Ă  toi que j’ai dĂ©couvert
(Tu diras qu’il en Ă©tait bien temps – et tu n’auras pas tort)
Que l’amour est comme une baie, belle et gĂ©nĂ©reuse,
Qui s’illumine et qui s’Ă©teint au rythme de la vie.
Une baie oĂą les bateaux viennent et s’en vont.
Ils arrivent avec des oiseaux et des promesses,
Et ils s’en vont avec les sirènes et sous la grisaille.
Une belle et généreuse baie,
OĂą les bateaux viennent et s’en vont.
Mais toi,
S’il te plait,
Ne t’en vas pas.